En sortant d'Erfoud, nos yeux pétillent encore au souvenir de ce superbe lever de soleil sur les dunes. Les deux étapes qui suivent ne servent à rien, c'est ce que nous appelons rouler pour avancer. Aller jusqu'à Tinghir, où nous avons rendez vous avec le Haut Atlas pour une symphonie en 3 mouvements ou plus, qui promet du lourd. Sur la carte le tracé se présente comme une sorte de Z retourné, orienté NE-SO. En version plus claire il s'agit de remonter la vallée de Thodra, descendre la vallée de Dades, puis remonter la vallée des Roses. Ces 3 mouvements de la symphonie devraient nous prendre approximativement une semaine. Pour le plus, ça dépendra du plus. Nous sommes encore indécis sur l'itinéraire, l'état des organismes et de la météo décideront.
Pour ce premier tronçon, nous remontons dans un premier temps les gorges de Thodra, puis continuons jusqu'à Agoudal en deux étapes. C'est en mode excités que nous donnons nos premiers coups de pédales vers le Haut Atlas et comme souvent dans ce cas, les kilomètres défilent sans que les dénivelés ne gâchent la fête, tellement nous sommes absorbés par ce qui nous entoure.
Les gorges de Thodra sont un haut lieu touristique, mais comme partout ailleurs en ce moment, nous sommes bien seuls sur la route. Bien qu'il soit encore un peu tôt dans la matinée pour avoir la lumière parfaite, c'est toujours impressionnant de pédaler au milieu de ces géants.
Finalement nous décidons de passer la nuit à Tamtattouchte où nous sommes sûrs de trouver un hébergement. Demain la journée sera plus longue jusqu'à Agoudal.
Ce matin la clarté est phénoménale sur ce beau plateau, avant le redoutable col qui nous attend après Aït Hani. Les couleurs matinales rendent le relief palpable, c'est facile sous la pédale et on régale nos yeux de toute la beauté que nous offre cette nature.
Le Tizi Tigherrhouzine a tenu ses promesses. Des pentes entre 9 et 12% dès les premiers mètres et aucun répit jusqu'au sommet. À ce régime, il faut arriver en haut des 2645m pour apprécier les paysages.
En haut du col le froid est vif et le vent du nord qui remonte la vallée nous promet une descente glaciale. Nous arrivons à Agoudal frigorifiés et le thé brûlant offert par nos hôtes de l'auberge Afoud n'a jamais été aussi bon. Le soir un bon tajine près du poêle mais avec les doudounes quand même parce que le bois est rare dans le coin.
A partir d'Agoudal les choses sérieuses commencent. Quarante cinq kilomètres de piste dont 25 de montée jusqu'au Tizi Ouano à 2910m. Ensuite ce sera la descente vers la vallée de Dades. A 8h30 du matin, au moment où nous prenons nos vélos, non seulement la température est négative mais le vent qui nous a gelé hier et que l'on devrait avoir dans le dos a changé de sens. Avec ce vent de face le ressenti est glacial et nous savons déjà que la journée sera longue et dure.
Petit a petit les pentes et le soleil aidant, nous enlevons les gants puis les couches de vêtements. Dans ce type d'étape, la sensation de réaliser quelque chose qui sort de l'ordinaire par la difficulté des conditions et l'isolement du site, exalte nos sens et nous insuffle l'énergie nécessaire à la réussite de notre challenge. Malheureusement l'exceptionnel s'arrête là, parce que le côté nature grandiose n'est pas au rendez vous ce matin.
Au col le vent est beaucoup plus fort et le froid intense malgré le soleil. À l'abri des ruines, la soupe que nous venons de préparer surpasse le meilleur des menus gastronomiques de l'avis de nos palais.
En basculant de l'autre côté du col, des les premiers coups de pédale nous comprenons que ça y est, nous avons aussi basculé dans l'exceptionnel côté paysages. Sur notre gauche l'érosion a donné naissance à un canyon aussi profond que majestueux, que nous suivrons jusque dans la vallée, c'est a dire au moins durant 20km. Du vent de face, un froid intense, une piste pourrie, mais un décor à pleurer, on signe immédiatement.
En arrivant à M'Semrir 40km après le col, nous trouvons à nous loger à l'auberge de la vallée des pommes, en même temps que Janine nous annonce la perte de son portable. Une vieille rengaine qui ne nous surprend plus. Au cours du repas, j'en parle à Brahim notre sympathique hébergeur, pour le cas où quelqu'un le trouverait dans les jours à venir. Aussitôt, une lueur éclaire ses yeux pendant que ses doigts tambourinent la table en proie à une forte excitation. On sent que Brahim a pris l'affaire en main et qu'il veut aider les français. Il me propose de partir à sa recherche demain à 5h, avant que les bergers ne sortent de leurs grottes. Je suis encore frigorifié de la descente et je regrette déjà de lui avoir parlé de ce maudit portable. À 5h30 du matin, nous sommes 3 sur les deux sièges avant d'un pick-up sans chauffage et plein de courants d'air glacés, à nous abîmer les yeux sur la piste à la lueur des phares. Mais je veux croire en l'enthousiasme de Brahim et c'est vrai que s'il est encore là on ne peut pas le louper. Au col, walou, pas de trace de portable et il doit faire moins 10 degrés. J'ai 4 couches plus bonnet tour de cou et gants, mais je grelotte tout ce que je peux et je n'arrive plus à lutter contre le froid. A 9h je suis de retour à l'auberge, bredouille, tremblant, et le moral dans les chaussettes. Nous reprenons la route à midi. Je sais que l'étape avec les gorges de Dades sera belle, mais le coeur n'y est pas.
En sortant de Kelaat M'Gouna pour la remontée de la Vallée des Roses nous entamons notre sixième étape sans repos dans la Haut Atlas. Malgré le passage polaire dans le Tizi Ouano les organismes tiennent le coup, et j'ai bien récupéré du froid de la virée en pick-up. Cette remontée de la vallée des roses est un régal parce que les conditions sont très favorables et les paysages, une fois de plus superbes.
À Bouteghrar comme nous bénéficions d'un très bon hébergement, nous décidons de prendre une journée de repos. D'une part parce que nous en avons besoin, d'autre part parce que les conditions météo sont très incertaines, avec la neige qui devrait s'inviter dans les jours à venir. C'est ici également que commence le plus de notre symphonie avec des décisions qui dépendront de la météo puisque nous avons 2 passages à 3000m dans l'une de nos options.
Trops contents de nous reposer, sauf William qui n'en a jamais assez et a accepté l'invitation de Mohamed pour une journée VTT dans les montagnes environnantes. C'est l'occasion de vous présenter nos amis de voyage. Nous avons rencontré William et Evelyne en Amérique du Sud un peu après Mendoza. Comme le courant passait bien nous avons continué ensemble, en fonction de nos envies, jusqu'à Ushuaia. Puis nous nous sommes retrouvés en 2020 sur les routes du Verdon, et au printemps 2021 en Espagne et maintenant au Maroc.
Notre Mohamed, féru de Trail, VTT et autres activités d'endurance qu'il partage sur la toile avec son application Strava, ne savait pas les risques qu'il prenait en invitant un petit vieux à une partie de manivelles.
William, c'est le genre de gars qui paie pas de mine. Tu le croises dans la rue tu lui donnerais presque ton bras pour traverser la chaussée. Par contre quand la machine se met en route, c'est une toute autre histoire. C'est un peu comme la deux chevaux avec le moteur de Ferrari. Sur le vélo, si tu te risques à remonter à sa hauteur c'est une journée de souffrance qui se prépare pour toi. Jamais faim, jamais soif, jamais froid, jamais chaud. T'as l'impression de rouler avec un martien.Toi, au gré des kilomètres et des heures de pédalage, tu as enlevé des couches, tu en as remis, tes traits sont marqués par l'effort, le visage collant de transpiration et tu as bu ton litre et demi d'eau. Lui il est dans la même tenue qu'au départ, frais comme une rose et il te propose sa gourde. Parce que William il fait pas partie des méchants extra terrestres qui veulent envahir notre planète et montrer leur supériorité à coups de baïonnette laser paralysante et de désintégrateurs à fusion cosmique. Non, William il est de la galaxie des gentils. Toujours attentionné, toujours prévenant, toujours à l'écoute des autres, modeste et discret, il est certain que l'humain est bon et que la vie est belle. C'est simple, son seul défaut c'est de ne pas avoir de défauts. Ah si pardon. Il adore les raccourcis. Dès qu'il peut il ne résiste pas à la tentation de couper les tracés, et en montagne ça se traduit toujours par des courbes de niveau positives qui s'enchaînent. À ce moment là tu le détestes vraiment. Mais tu ne peux même pas l'engueuler il est trop loin devant.
Notre sympathique Mohamed s'est fait prendre au piège et nous a promis que plus jamais ça.
Au départ de Bouteghrar c'est officiel, la neige est annoncée avec 90% de probabilités pour le lendemain. Hors de question de passer à 3000 sans issue de secours. Heureusement, Mohamed nous a concocté un itinéraire de choix avec une première nuit chez les nomades dans les grottes et une deuxième nuit dans un gîte de montagne tenu par un guide. Cette option nous offre la possibilité soit de continuer en altitude selon la couche de neige tombée, soit de redescendre dans la vallée.
Quinze kilomètres après Bouteghrar nous dépassons le dernier village, le goudron s'arrête, et l'impression de vivre de nouveau des moments hors du commun est bien présente. Nous sommes seuls sur un immense plateau et roulons à la rencontre des nomades.
Pour ne rien cacher ça aurait pu être une super expérience, mais nous sommes tombés sur la trouble fête du coin qui ne pensait qu'à notre porte monnaie au lieu de respecter les règles d'hospitalité coutumières dans ces contrées. A force de baragouinages, notre vilaine nomade avide de dirhams nous conduit à une grotte inoccupée, balaie quatre crottes de chèvre avec un buisson et nous fait signe d'abouler le flouze. Nous enfourchons aussitôt nos vélos et laissons la méchante sorcière plantée là, pour aller camper dans le lit de l'oued asséché.
Cette fois ci pas d'erreur. Après un petit dîner à 18h façon EHPAD (chacun s'y prépare à sa manière), un brin de causette autour du feu avec des bergers, au lit avec 4 couches plus doudoune, caleçon long mérinos plus pantalon, bonnet et chaussettes. La recette pour ne pas périr de froid quand on n'a pas un duvet adapté.
Plus que 29km pour rejoindre le gîte de montagne que Mohamed nous a indiqué. Sauf imprévus l'étape devrait aller vite et il vaut mieux, parce que la dépression est annoncée dans l'après midi. Nous roulons une partie de la matinée sur ce grand plateau jusqu'à rejoindre la piste principale. A part la trace que nous suivons tout est totalement vierge, mais ça roule plutôt très bien. C'est le pays des bergers nomades et nous croisons souvent leur campements, soit fait de tentes avec bâches et plastique, soit des grottes creusées à même la roche.
Aussitôt quelques maisons passés ça commence à sentir le roussi. La piste se dégrade de plus en plus et le vent s'est levé, nous obligeant à pousser les vélos régulièrement. Arrivés sur ce qui est donné pour la piste principale, nous nous pensions sauvés mais c'est encore pire. Plus on pousse et on passe des ravines moins on comprend. Cette piste est donnée sur la carte comme route provinciale, mais tout un tronçon de plusieurs kilomètres a été emporté par le ruissellement et on se trouve face à un véritable chaos de pierres et ravins.
Après 5km de poussette nous sommes descendus dans la vallée.Il ne nous reste plus que 9km dont 4 de montée pour arriver à notre gîte mais la partie est loin d'être gagnée parce que le vent est de plus en plus fort. Le ciel est parfaitement bleu mais sur les cimes de gros nuages s'amoncellent et engendrent un vent qui descend la vallée en tempête. Nous n'arrivons plus à rester sur les vélos tellement les rafales sont fortes dans un premier temps, puis très vite il nous est impossible de pousser les vélos face au vent alors qu'il ne nous reste que 3km pour arriver au refuge. Même la Patagonie ne nous jamais donné une telle correction.
Un camion nous épargnera un ultime calvaire de 3km jusqu'au gîte. Au lever les sommets sont tout blancs et les routes d'altitude coupées. La neige nous aura chassé du Haut Atlas, alors cap sur Ouarzazate.
À Ouarzazate nous apprenons que les deux vols que nous avions réservé successivement, l'un vers Toulouse 2 jours avant les annonces des autorités marocaines, l'autre vers Barcelone aussitôt après, sont annulés. Il nous reste encore une possibilité vers la Suisse, alors nous prenons un vol vers Genève. On tient à finir notre voyage. Dans la foulée je reçois un message de Brahim notre enquêteur spécial du Haut Atlas. "Richard j'y loucalisé li tilifon di Janin cit oun bergé qui la trové. Vien l'y cherché". Énorme Brahim qui a mis en route le téléphone arabe bien plus efficace que nos GPS localisateurs en plein milieu de la montagne. Location de voiture, 400km aller et retour et le miraculé des montagnes et éternel fugueur retrouve sa propriétaire... jusqu'à la prochaine escapade de ce petit coquin.
Après toutes ces péripéties l'Anti Atlas nous attend, alors à bientôt dans un prochain épisode.
Bon ski a tous !