Ushuaïa : 12 172 km
Nous sommes à Punta Arenas et devant nous, de l'autre coté du détroit de Magellan, la Terre de Feu. Cette île, comme l'appellent le "Fueguinos" sera notre dernier tronçon en direction d'Ushuaïa. Mais pour l'instant, comme nous avons décidément beaucoup de temps, nous décidons de faire une petite balade de 60km le long du détroit puis une pause de 3 ou 4 jours au bord du rio San Juan, afin de découvrir le lieu habité le plus austral du continent; le phare San Isidro. Les prévisions météo sont formelles, les 3 prochains jours seront les plus chauds de l'année avec des températures pouvant atteindre 25°, et bien sur pas de vent. Il s'agit d'un phénomène météo exceptionnel et comme la fin de semaine est proche, nous assistons à un déferlement des familles de Punta Arenas le long des plages, venus profiter de ces températures uniques et inespérées. A peine arrivés, les asados sont en route, les bouteilles débouchées, la musique à fond, et ça peut durer.....toute la nuit. Comme pause nature on peut mieux faire et j'avoue que certaines familles nous ont bien agacés, mais nous avons aussi partagé des parties de foot endiablées et fait de bonnes rencontres avec des gens adorablement généreux qui nous ont offert en partant, asado, boissons, fromage, fruits et pain.
Au retour vers Punta Arenas nous avons la surprise de rencontrer Mauricio, loueur de kayaks, artiste du bois et passionné d'animaux et de nature, qui nous propose un kayak pour aller à la rencontre des dauphins. Une chance incroyable que je saisis aussitôt même s'ils ne se sont pas vraiment laissé approcher. Cette séance est suivie d'une visite de son atelier et un bon goûter, merci Mauricio pour ta gentillesse et générosité.
Après la traversée du détroit de Magellan il nous restera 400km en terre de feu pour rejoindre Ushuaïa. Il parait que la Terre de Feu doit son nom aux nombreux foyers allumés par les Amérindiens, que les colonisateurs Européens observaient depuis l'Océan. Pour notre part nous avons surtout vu des steppes à perte de vue, en permanence battues par le vent.
Nous prévoyons de faire ce dernier tronçon en deux fois 4 étapes avec une pause à Rio Grande, la seule ville que nous traverserons avec Tolhuin. En dehors de ces villes notre souci c'est de trouver des sites protégés du vent qui souffle sans arrêt, pour passer la nuit. Soit en demandant dans les quelques immenses estancias que l'on trouve sur la route, soit en identifiant des refuges en dur comme les abris de bus ou quelques rares zones boisées pour planter la tente. Notre chance c'est que nous sommes globalement sur un axe favorable au vent de dos ou de travers, et on ne peux s’empêcher de penser au calvaire que vivent par moments les cyclistes qui voyagent du sud au nord.
Au programme 100km de piste jusqu'à la frontière Argentine le long de la "Bahia Inutil". Le vent de travers nous fouette le visage, et le bleu de la mer parsemé d'écume contraste bien avec la couleur ocre de la steppe. Sur cette côte inhospitalière nous ne trouvons que quelques cabanes de pêcheurs où nous nous réfugions de temps en temps, et des estancias de plusieurs milliers d'hectares distantes d'une trentaine de kilomètres les unes des autres. A l'occasion d'un arrêt casse croûte nous faisons la connaissance de Francisco qui vit dans sa cabane face à la mer, à l'année. Sa technique de pêche est d'une simplicité déconcertante. Un filet fixe attaché au rivage d'un coté et ancré à une vingtaine de mètres au large de l'autre, lui permet de prélever saumons ou bars tous les jours, directement sur la plage de graviers sans même se mouiller les pieds. Aujourd'hui deux bars de 6 et 3 kg attendent dans le bidon d'eau glacée, d'être récupérés pour ensuite être vendus à Porvenir ou Punta Arenas. Pour comprendre l'abondance de ces eaux il nous explique que pour se protéger des orques et Dauphins que nous voyons régulièrement sauter, les poissons nagent au plus près du bord de mer et deviennent ainsi une prise facile pour les filets de rivage.
Au lendemain de cette première étape en terre de feu, l'orteil de Vincent qui avait souffert des attaques chiliennes lors de notre épique match de foot, déclare forfait. Le pied est enflé et la douleur très vive. Alors les brothers décident de rouler directement jusqu'à Rio Grande pour passer des radios, alors que nous prévoyons, de notre coté, de faire un détour pour aller voir une colonie de manchots royaux. Alors c'est parti pour 35km avec un fort vent de coté le long de la bahia inutil jusqu'au croisement Onaisin, où nous obliquons à 90° en direction de la colonie de manchots, avec au programme 15km de vent....de face évidemment. Le manchot royal est un peu plus petit que le manchot empereur, mais bien plus grand que les manchots communs de Magellan, et surtout, il arbore une belle couleur jaune orangée autour de la tête et du cou. Alors on se dit que la visite mérite le détour de 30km aller retour plus les 12000 pesos par personne de droit d'entrée, d'autant plus qu'il s'agît de la seule colonie existante en dehors de l’Antarctique.
Pour ne rien vous cacher nous sortons de là un peu déçus. Certes, nous avons eu la chance d'observer une espèce peu commune dans leur habitat naturel, mais il faut croire que les conditions n'étaient pas réunies pour que nous savourions pleinement cette découverte. Un ciel de plomb, des nuages bas, un vent de face glacial, ne permettent pas d'observer la colonie dans les meilleures conditions, mais ce sont des contraintes naturelles auxquelles nous sommes habitués et que nous acceptons. Mais lorsqu'il s'agît de distances réglementaires d'observation, nous vivons depuis tellement de temps en contact direct avec la nature, que ces entraves à notre liberté, même si nous les comprenons, nous gâchent un peu la fête.
Les 15km retour jusqu'à notre abri bus trois étoiles sont une partie de plaisir avec un vent favorable.
Le lendemain, les 56km jusqu'à la frontière argentine sont avalés en un peu plus de 2h, comme une fleur, sans une goutte de transpiration tellement le vent nous est favorable. C'est si facile que nous pensons enchaîner dans la journée les 80km suivants jusqu'à Rio Grande. Mais comme nous ne sommes pas pressés, nous décidons de rester dans les confortables locaux mis à disposition par la gendarmerie argentine. Erreur, oh, grande erreur ! L'étape qui devait être un jeu d'enfant jusqu'à Rio Grande le lendemain, se transforme en une galère de 80km, vous l'avez deviné, à cause du vent. Ici on ne se pose même pas la question, le vent est toujours Ouest Nord Ouest, sauf qu'aujourd'hui, ça parait incroyable, mais il est Sud. Alors on commence par lutter résignés, puis lorsqu'il commence à forcir à la mi-journée, les caprices d'Eole nous sortent vraiment par les yeux. On le traite de tous les noms, on lui dit qu'il ne nous aura pas, qu'on se vengera. On s'en prend à ce bout du monde qui nous maltraite depuis trop longtemps, on en veut même aux cyclistes que l'on croise, d'arborer un sourire qui devrait être nôtre. Janine craque à 30km de Rio Grande et je termine seul, bien décidé à faire un pied de nez à celui qui nous a joué ce vilain tour.
Rio Grande c'est "LA CAPITALE" de la pêche à la truite, et des passionnés du monde entier affluent ici, pour tenter de sortir l'un de ces monstres que l'on voit un peu partout en photo. Bien sur, l'idée de ferrer un beau trophée nous titille, mais il paraît que c'est extrêmement surveillé et la licence pour les étrangers est à un prix scandaleux, alors on se rabat sur la belote en attendant que Vincent se remette de sa fissure à l'orteil. Nous avons tout de même la chance de faire la connaissance du grand Jose Toranza qui tient un petit magasin de vélos et incarne la gentillesse à l'état pur. Lorsque je le sollicite pour savoir s'il connaissait dans la ville un hébergement avec une cuisine, il me propose aussitôt sa maison et organise au pied levé dans sont atelier, un asado en notre honneur. Jose c'est l'homme au grand cœur, la mère Theresa des cyclo voyageurs, si vous passez par Rio Grande vous ne pouvez pas manquer cette rencontre.
Sur cette terre inhospitalière, les quelques refuges existants en dehors des villes sont bien connus des cyclo voyageurs. La Estancia Viamonte fait partie de ceux là, et bien que nous soyons loin de l'étape, nous faisons une halte pour prendre le café et échanger avec les propriétaires, qui se prêtent tout de suite au jeu et nous donnent de leur temps. Ils possèdent 40000 hectares où paissent 6000 brebis et 2000 bovins. Le bétail est uniquement gardé par des chiens, avec une surveillance des gauchos tous les 2 jours en moyenne. La maintenance des clôtures est la tâche qui occupe le plus l'équipe de 11 personnes. Ils produisent tous leurs légumes et on développé la culture de l'aïl noir, une spécialité gastronomique utilisée par les grands chefs de Ushuaïa. Ils nous apprennent également qu'ils ont accueilli leur premier cyclo voyageur en 1959, lorsqu'il n'y avait pas encore de route pour traverser la cordillère afin de rejoindre Ushuaïa. Au final un bon moment de partage dont nous avons besoin sur cette fin de voyage. Nous sommes passés depuis quelque temps du mode bouffeur de kilomètres et découvreur de paysages au mode prends ton temps, fais toi plaisir et ne souffre pas trop. Les bouteilles de Malbec, les canettes de Quilmes et les cacahuètes ont remplacé les sachets d'avoine et les bananes dans nos sacoches, les étapes se raccourcissent considérablement et notre attention se porte plus sur l'organisation du bivouac que sur l'étape à vélo. Apéro, cuisine, pêche, parties de belote avec les frangins, sieste et feu de camp sont les priorités de notre programme.
Notre prochaine étape à Tohulin est un passage obligé. Aucun cyclo voyageur ne peut manquer le monument que représente "La Casa de Ciclistas de la panaderia La Union". Les centaines de messages sur les murs des locaux mis à disposition des cyclo voyageurs témoignent de l'énorme générosité que Emilio et son équipe déploient depuis des années. En plus des superbes locaux mis à disposition, nous nous régalons des succulentes "facturas", les fameuses viennoiseries qui font la réputation de cette boulangerie. Et comme tous les rouleurs vers le sud sont comme nous sur la fin du voyage, avec une furieuse envie de passer du bon temps, nous passons une bonne soirée avec Pietro, un Franco Italien de 20 ans et Javier un Argentin de 27 ans qui se joignent à notre groupe pour les deux étapes restant jusqu'à Ushuaïa.
Pour notre dernière nuit de voyage nous avons repéré un lieu sur la carte, au bord du lago escondido, et rien que le nom nous fait déjà rêver. Lorsque nous arrivons sur le site, ce que nous voyons dépasse toutes nos espérances. Une cabane en bois juste au bord de l'eau, avec une terrasse que vient lecher le clapotis des vaguelettes, et une grande façade en fenêtres qui ouvre la vue sur le lac. Mais le meilleur vient au moment où nous ouvrons la porte, en découvrant que le chalet est équipé d'un mobilier en bon état, pile pour six personnes. Et vous savez quoi ? C'est une cabane abandonnée mais entretenue par les gens de passage, alors comme on arrive les premiers elle est à nous pour la nuit. On n'en revient pas de tant de chance et on se dit qu'on à du le mériter. Toujours le même programme, pêche, sieste, jeux de cartes, apéro, cuisine, repas, et une fois bien chauds après quelques verres, un émouvant discours de chacun sur le ressenti de son voyage. Un grand moment de convivialité et d'émotion !
Un grand soleil nous accompagne pour cette dernière étape commune, et il règne une ambiance un peu folle au sein du groupe. Tout le monde à le sourire et se repasse mentalement le film imaginaire de l'arrivée à Ushuaïa, qui représente en même temps que la fin de notre voyage, la fin du monde. La montée vers le paso Garibaldi se fait tout en douceur, et nous profitons d'une vue splendide sur le lac que nous venons de quitter et notre jolie cabane. Mais comme les bonnes choses ont toujours une fin, à peine le col passé nous prenons un méchant vent de face qui ne nous quittera plus jusqu'à la fin de l'étape. La terre de feu est ainsi faite, lorsqu'elle te donne du bon temps profites en, mais ne te réjouis jamais trop longtemps.
Çà fait un bon moment que j'ai la tête dan le guidon, pour lutter contre ce vent qui nous malmène. Nous sommes encore à 10 km de la fin de l'étape lorsque je lève les yeux et aperçois au loin un drôle de porche, puis aussitôt, Vincent et Janine qui mettent pied à terre, et je comprends d'un coup que nous sommes devant la porte qui figure l'entrée à Ushuaïa. D'ailleurs c'est écrit en grand dessus. J'assiste alors à une drôle de scène, mi fiction mi réalité, où je suis en même temps acteur et spectateur. Je distingue, au milieu des cris, des danses et des larmes, mes compagnons de voyage exprimer leur joie du projet accompli et c'est émouvant. Je me dis aussi que vue de l'extérieur, autant d'exubérance doit paraître un peu bizarre et peut être surfait, mais le gendarme en faction derrière sa barrière, qui assiste depuis le début à notre manège ne s'en émeut pas, il en a vu d'autres. Nous roulons ensuite en centre ville pour les traditionnelles photos d'arrivée, avant de partir à la recherche d'un hébergement.
Ushuaïa c'est la station chic de bord de mer comme on l'imagine, mais avec le soleil et la chaleur en moins. Le canal de Beagle au sud et une ceinture de sommets enneigés au nord, lui donnent un côté très nature qui apporte beaucoup de charme. En même temps le tourisme est en pleine croissance et la ville est passée en 60 ans, de 3500 à 70 000 habitants. En cette fin d'été austral nous avons déjà droit à quelques légères averses de neige avec un froid polaire, alors nous nous réfugions dans les bars et restos, autant pour nous mettre au chaud que pour fêter notre arrivée.
Profitant d'une fenêtre météo favorable de deux jours, nous décidons tout de même de faire un tour au parc national de terre de feu, pour une petite randonnée et notre dernier bivouac en Amérique du Sud. La balade côtière le long du canal de Beagle dans une forêt de type sub antarctique et sympa, mais nous retiendrons plus notre mal au pieds que la beauté des paysages. Par contre nous rejoignons Vincent et Jérémy pour un superbe bivouac au bord de la laguna verde, avec notre programme immuable, feu de camp, apéro.....etc, etc, vous connaissez la suite.
Nous préparons en ce moment les cartons pour transporter les vélos, que nous enfourcherons de nouveau pour rentrer à la maison, où nous espérons avoir le plaisir de vous retrouver.