Vous pensiez peut-être qu'on s'était fait bouffer par un ours, que nous étions passés sous les roues d'un énorme truck, ou pire, que nous avions intégré une communauté hippie le long des cotes Californiennes. Ben non, nous sommes rentrés depuis un moment à la maison, mais l'accouchement de ce dernier article à été long et difficile. Manque d'inspiration, besoin de passer à autre chose, l'usine à idées était en grève. Heureusement la raison l'a emporté, et tant mieux parce que tu peux lire enfin le final de ce chef d'oeuvre.
Je ne sais pas comment tu imagines la Californie, mais nous on se voyait bien longer la côte sous un soleil de plomb, s'arrêter sur les plages pour piquer une tête au milieu des surfeurs aux cheveux décolorés, et pourquoi pas croiser quelques bombasses style alerte à Malibu. Bon, à vrai dire les surfeurs c'est juste pour le symbole, parce Janine, évidemment, ne regarde que son Papypédale.
J'avais tout fait pour nous préparer un final de rêve. Nous avions enchaîné les étapes en Oregon comme des bêtes, sans repos, pour nous donner le temps de vivre un final Californien à petit rythme, et profiter de cet Eden qui peuplait notre imaginaire.
En réalité, en guise de petit rythme, nous avons d'abord fait connaissance avec "The Wave". Toi aussi tu penses qu'il s'agit du ronflement de l'océan avec les fameuses vagues du Pacifique se fracassant contre les rochers dans une explosion d'écume, et projetant une myriade de gouttelettes qui scintillent au soleil. Mais la réalité est beaucoup moins poétique. "The Wave" c'est le nom que les cyclo voyageurs ont donné à la route côtière de Californie, en référence aux montées et descentes ininterrompues que son profil présente. Et on peut t'assurer qu'il ne s'agit pas seulement d'une vague, mais d'une vrai tempête. Sur la Wave en bitume, les seules gouttelettes aperçues sont celles de notre transpiration s'écrasant sur la sacoche de guidon, et les seuls ronflements entendus, les cris de panique lancés en appellant nos mamans chaque fois que se présentait une nouvelle côte à 10%.
Côté météo on comprend très vite que la réalité est bien différente des films que l'on s'était projetés, et les maillots de bain sont restés au fond des sacoches. Ici, le Pacifique est à 10°, l'air du bord de mer glacial, et au camping, la doudoune et le feu de bois sont de service tous les soirs.
Et puis fatalement, on prend conscience que le phénomène est inévitable en bord de mer. Soleil d'été plus eau froide, c'est le cocktail parfait pour créer le fameux Fog. Un brouillard épais, qui au mieux ne te lâche pas de la matinée, et au pire t'envoie un crachin durant plusieurs jours. Nous on a eu le pire! Plusieurs matinées de suite à plier le camp sous la pluie, ranger le matériel mouillé dans les sacoches, et prendre la route dans le brouillard. C'était pas toujours la fête dans nos têtes.
Attention, ce n'est pas non plus des conditions dantesques, mais quand on espère un final en douceur la pilule est amère. Malgré tout, par intermittence, la Californie nous offre aussi du sublime qui nous fait oublier aussitôt les misères subies.
La grande révélation, c'est les séquoias des forêts de Redwoods qui nous en font cadeau. Sur plus de 300km, la route délaisse la côte pour devenir "L'avenue des Géants". Jedediah Smith Redwoods, d'El Norte Coast Redwoods, Prairie Creek Redwoods, Humboldt Redwoods, Richardson Grove. Nous côtoyons ces mastodontes durant de nombreuses étapes, à travers les parcs nationaux et d'état, avec le sentiment d'être retournés en enfance dans une forêt enchantée.
Les pauses sont fréquentes, pour se fondre dans leur antre et mieux les approcher. Que ce soit pour une petite balade à pied au cours de l'étape vélo, ou pour une randonnée à partir de notre lieu de campement, nous multiplions les incursions au cœur des colosses. Pénétrer dans leur monde est une expérience unique, peut être la plus émouvante de notre voyage. Au premier abord, la dimension surnaturelle de cette nature est intimidante. Puis, rapidement, ce sentiment fait place à une sensation de sérénité, de quiétude, nous laissant penser que les géants nous ont adopté. Il est alors aisé de percevoir la vie qui se dégage de ce monde apparemment immobile, et goûter à leur côté, l'énergie qu'ils transmettent.
Pour ne rien gâcher, un temps beau et chaud s'installe durant notre traversée des Redwoods. Alors nous profitons de la fraicheur sous la voûte des sentiers forestiers, et savourons les baignades dans les rivières qui proposent une température bien plus accueillante que l'océan.
A Leggett, nous quittons définitivement la forêt de Redwoods en même temps que la route 101. La 1 que nous suivons, est beaucoup plus tranquille et ne quitte plus la côte jusqu'à San Francisco. Quatre cents kilomètres à un rythme de vacanciers ça nous convient parfaitement. Le temps ne manque pas avant notre décollage pour "at home", alors nous nous régalons déjà à l'idée de multiplier les pauses le long de cette belle côte sauvage, même si nous avons définitivement renoncé aux baignades glaciales. Mais ici tu ne décides rien, les caprices du Fog le font à ta place. Je ne sais pas ce que nous avons fait de mal, mais la punition tombe de nouveau, sous la forme du traditionnel crachin durant 3 jours de suite. Autant dire que ce temps pourri ne nous incite en rien au farniente. Nous enchainons les étapes normalement en pensant déjà au calvaire que sera la semaine d'attente à San Francisco avant notre départ.
A deux étapes de San Francisco le fog nous lâche enfin la grappe (qui contrairement à ce que tu penses, petit saligot, ne désigne pas les attributs masculins), et ça tombe bien parce que nous avons prévu une pause de rêve à Steep Ravine. Imagine un belvédère au dessus de l'océan, en pleine nature, avec une dizaine d'emplacements maximum. Le camping sur lequel nous fantasmons depuis des jours est là, en contrebas de la route principale.
Cent mètres de dénivelé plus bas nous prenons notre première claque d'une série mémorable. Il n'y à plus de place au camping et tout est réservé pour les 6 prochains mois. Ca fait mal mais c'est mérité! Habitués aux campings hiker-biker disséminés tout le long de la côte, qui adoptent le principe du premier arrivé premier servi, nous avons niaisement omis de vérifier que celui-ci n'était pas de ceux-là. Nous ne méritons aucun pardon ! Y a plus qu'à remonter les cents mètres de dénivelé et se mettre à la recherche d'un coin de bivouac improbable, parce qu'il n'y a pas d'autres campings dans le coin. Arrivés en haut, Janine à la bonne idée de crever, afin de nous accorder un petit repos après cette montée infernale.
Et comme il n'y a jamais de série pourrie sans bouquet final, notre Ninja se débrouille pour casser sa roue libre quelques kilomètres plus loin.
Baissez le rideau y a plus rien à voir !
Voilà Papy Mamie coincés à Muir Beach, un coin mi nature sauvage, mi chicos, où les locaux adorent se promener et où, au pays de la voiture reine, on peut se brosser pour trouver un transport en commun. A une étape de San Francisco, nos espoirs d'arrivée triomphante partent en guenille, notre final en apothéose se délite. Nous rêvions déjà de photos devant le Golden Gate, qui trôneraient plus tard dans le salon de nos arrières petits enfants, où ils raconteraient à leurs copains comment deux vieux décrépits avaient remporté la guerre d'Amérique après une épopée héroïque.
Je suppose que tu crois plus au Père Noël, non? Mais en revanche, peut être tu crois encore un peu au Bon Dieu?
Moi c'est pareil !
Quand je suis dans la mouise totale, il m'arrive d'implorer les divinités célestes. Bon, j'avoue que lorsque je suis en colère je leur cause aussi, mais pas de la même manière. D'ailleurs c'est peut être pour ça qu'ils répondent jamais. Mais sur ce coup, on devait être sur la même longueur d'ondes parce que ça a réagi impec. Evidemment, l'éternel ne s'est pas déplacé en personne à Muir Beach pour deux antiquités en panne de vélo, tu penses bien. Les grands de ce monde se font toujours représenter, imagine là-haut. A la place on a eu Olivier, un vrai terrien, jovial, sympa, et plein d'attentions. Il parle notre langue et nous dit que bien sûr il vient nous chercher, et même qu'il nous apporte un vélo pour qu'on termine à la pédale. Moi je dis que Muir Beach devrait se jumeler avec Lourdes, parce que le miracle n'est pas loin. T'en penses quoi toi? Je te raconte que tu te fasses une idée!
Olivier, nous l'avions rencontré en Patagonie, à la fin de la Carretera Austral qu'il faisait avec sa femme Isabelle et ses enfants. Une escapade familiale depuis leur Californie, où ils sont installés depuis pas mal d'années. L'étape était mémorable, pour ne pas dire dantesque. Une de celles dont tu te souviens pour toujours; le no man's land entre le Chili et l'Argentine version cauchemar. Pas un gramme de goudron au sol, des pentes à faire pleurer le maillot à pois, un sentier dans les bois impraticable sur le vélo, plusieurs ruisseaux à traverser et une température en dessous de cinq degrés avec précipitations pluie neige. Quatre heures à pousser nos mulets chargés dans les bois, trempés jusqu'aux os, et tu vas pas le croire, une roue libre cassée en plein milieu. Et devine qui nous a dépannés arrivés au bivouac?...Olivier évidemment.
La rencontre avait été aussi brève qu'intense comme souvent en voyage, d'autant plus que, coïncidence suprême, Isabelle est de Tarbes. Tu penses bien que même, en 24h seulement, quand tu croises un Américano Bigourdan à vélo au fond de la Patagonie, ça marque un peu. Le pire c'est que je pensais qu'ils habitaient près de Los Angeles, alors qu'ils sont tout à coté de San Francisco. Le loustic avait suivi notre périple en toute discrétion sur Papypédale (comme quoi ça sert un peu que je m'escrime à écrire des âneries), et en bon matheux, il nous a contactés pile à quelques étapes de l'arrivée. Alors? C'est pas de l'inespéré doublé d'un soupçon de magie ça?
En plus du vélo, Olivier nous propose un itinéraire dans une zone complètement sauvage, qui nous permet d'arriver par Marin Headlands directement devant le Golden Gate, sans fouler un mètre carré de goudron. Et comme tu as la chance de faire partie des intimes de ce blog, tu peux retrouver la trace GPS dans la carte ci-dessus. C'est un cheminement secret, qui évite de passer Manzanita et Sausalito, avec l'énorme circulation de la 101. Tu bénéficieras aussi d'une vue sublime au dessus de la mer, mais affute les mollets parce les pentes sont raides. En prime il à trouvé un campement tout ce qu'il y a de plus tranquille, où il partage avec nous notre dernière nuit de voyage, et bien sûr, il a fait le plein de bières pour fêter nos retrouvailles. Mieux que dans les films!
Pour terminer en beauté, nous retrouvons Olivier sur la plage de Crissy Beach, juste sous le Golden Gate, où un énorme casse croûte nous attend. Et comble du raffinement, il à amené un kayak en bois fraichement retapé pour que je le teste dans ce lieu emblématique.
La semaine d'attente que nous craignions tant avant notre départ s'est transformée en vraie récréation. Nous sommes logés, nourris, promenés, chouchoutés, amusés. Les conversations sont passionnantes, les éclats de rire spontanés, les souvenirs et les projets fusent, la vie bat son plein et ça fait beaucoup de bien. Un final de rêve, merci Isabelle et Olivier.
Et voilà! Une nouvelle expérience dans l'escarcelle, qui nous a appris beaucoup, sur une culture, un pays, et une population, bien différents de ce que l'on connait en Europe. Mais surtout, et c'est avant tout ce que nous allons chercher, elle nous a encore beaucoup appris sur nous mêmes.
Nous préparons la suite pour bientôt, si nos carcasses sont encore en état.