Carnet de voyage

Pèlerins des Steppes

7 étapes
86 commentaires
À nous les grands espaces, les steppes à l'infini, les bivouacs sous les étoiles, et les pistes en solitaires. Un voyage grandeur nature comme on les aime.
Juin 2024
45 jours
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Ça s'emballe par ici les amis!

Depuis quelques jours ça déballe, ça emballe, ça démonte, ça surmonte, ça trie, ça prie, ça cogite, ça s'agite, ça évalue, ça évolue, ça empaquète, ça caquette, ça cavale, ça cale, ça subit, ça réagit, ça imagine, ça affine, ça explore, ça améliore, ça espère, ça accélère.

Vous avez compris, toute l'effervescence des départs, plus un bataillon d'emmerdes de dernière minute. On essuie de féroces attaques mais on tient bon.

Je sonde nos chances (et pas que), dans le match qui nous opposera à Gengis Khan sur son terrain. Et je me dis que deux épaves, toutes vieilles qu'elles soient, contre un conquérant implacable mais mort depuis 800 ans, ça devrait le faire.

On a un peu les chocottes mais on y va de bon cœur. Et surtout, on part avec l'assurance d'être épaules par une bande de fêlés, pourvoyeurs réguliers de petits mots qui rajeunissent.


Phase démontage 
Phase bidouillage 
Phase réassemblage 
Phase qui soulage 
Y a plus qu'a mettre tout le bazar dedans 

Il reste encore quelques détails à régler, mais les grosses contrariétés sont derrière nous. Nos nuits sont maintenant peuplées de steppes verdoyantes, parsemées de yourtes blanches. On tient le bon bout!

Dans trois jours nous volerons vers Oulan-Bator. Deux jours dans la capitale pour remonter les vélos, obtenir un visa, acheter une carte de données mobiles, et trouver un bus qui nous mènera vers notre départ à vélo. Six heures plus tard nous devrions être à Bulgan et donner les premiers coups de pédale après une nuit de repos.

Pour les plus curieux, la carte en haut du carnet de voyage apporte pas mal d'informations. La trace projet en rouge, sera remplacée au fur et a mesure par la trace réalisée en bleu, et un petit compte rendu de la journée sera publié à chaque point étape. Evidemment toutes ces bonnes intentions restent liées à la couverture réseau que nous aurons.

Бид танд том үнсэлт илгээж байна

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La destination d'un voyage à vélo est souvent le fruit d'une impulsion. A ce stade, c'est ton imaginaire qui te guide, et va savoir par quoi il a été influencé.

Quelques images, une lecture, pourquoi pas une musique ou un rêve. Dès que le lascar (je parle de l'imaginaire, pour ceux qui liraient au lit dans un état de somnolence avancée) a réussi à t'infuser dans le caberlot ton nouveau jardin d'aventures, t'es bon pour bosser comme un forcené.

Ça commence par des heures de recherche sur le net, pour tracer ton itinéraire en fonction des points d'intérêt et des récits compulsés. Pas trop de prises de tête à ce stade, parce que tu risques de le changer plus d'une fois avant le projet final. Ensuite, tu affineras en fonction du type de voies que tu souhaites emprunter. Puis tu évalues les kilomètres et le dénivelé, ce qui te donnera le nombre d'étapes, selon que tu voyages en mode guerrier ou touriste. Si tu aimes les organisations carrées (j'en suis), tu vas même jusqu'à créer un fichier GPX pour chaque étape, avec des nuits bivouac ou en dur. Cette trame n'empêche en rien une improvisation sur le terrain en fonction des circonstances. Mais si les chiffres te donnent des boutons et tu préfères voyager à vue de nez, saute cette étape.

Je les vois déjà tous les titilleurs par principe, les rechigneurs de naissance, les j'ai tout vu sans sortir de la maison. Ils s'écrient au scandale. Ils rétorquent que le voyage c'est avant tout l'inconnu, la découverte, le surprenant, et que trop préparer c'est aseptiser. À ceux là j'enverrai un paquet cadeau de tous les imprévus quotidiens à se coltiner, qu'ils puissent m'aider à les résoudre depuis leur canapé.

Arrivé à ce niveau, tu as fait la partie la plus plaisante. Celle qui te permet de t'approprier ton voyage. De t'immerger dans les ambiances et flairer les difficultés comme les moments plus relax.

Ce qui reste tient plus de la besogne que du plaisir. Décider de l'équipement, récupérer des cartons, dépiauter les vélos, caser tout le barda dans les boîtes, peser, repeser, caler, scotcher. Et enfin, trouver une bonne âme pour te déposer à l'aéroport.

Si tu penses qu'à ce niveau la partie est gagnée, tu te fourres le doigt dans l'œil. Un nouveau moment d'angoisse t'attend au checking. La politique bagages des compagnies aériennes concernant les équipements sportifs est une nébuleuse. Chacun l'interprète comme ça l'arrange, en ajoutant un supplément bagages, ou un supplément sportif, ou pas de supplément du tout. Certaines fois ça passe, ce coup ci Turkish Airlines nous a allégés de quelques centaines d'euros.

Toujours vigilants avec les cartons. Quand tu les vois sur le tarmac sous la pluie mauvais signe 

La bonne surprise qui compense notre contrariété, c'est que nous sommes dans la rangée juste derrière le bloc toilettes, au milieu de l'appareil. Je sais pas si t'as déjà eu ce coup de bol, mais ça change la vie. Tu peux étirer les jambes, te lever sans te fondre en pardons et t'es tout près des cagouinces en cas d'envie pressante. Que des avantages!

Tellement bien que nous arrivons à 7h du matin à Oulan Bator, après 12h de voyage, frais comme des roses. Quand les navettiers affrétés par notre hotel nous annoncent 2h pour faire les 25km qui séparent l'aéroport de la capitale, on pense avoir mal compris. Mais finalement non!

C'est pas un embouteillage c'est un bouchon géant. Une asphyxie routière, un barrage infranchissable, une obstruction définitive. C'est pas possible! Il doit y avoir un accident monstre, un pont écroulé, une attaque extra terrestre. On nous assure que non. C'est normal. Sur des kilomètres ça klaxonne, ça déboîte vainement, ça invective je ne sais qui, et je comprends cette excitation. Pour ne pas perdre patience ici, il faut avoir été croisé avec un paresseux ou cloné en tortue.

Bienvenue au pays des grands espaces!

 Le policier est la juste pour la déco parce que les automobilistes font ce qu'ils veulent

Pour me défouler je remonte les vélos à peine arrivé, et à 13h on déguste un fameux goulash, guidés par Gan, notre adorable hébergeur. L'après midi, complètement jet lagués, à demi comateux nous récupérons des cartes téléphone locales.

Attention à la méprise. Si je prends la liberté de te décrire avec soin notre journée, c'est pour que tu prennes conscience du turbin que suppose un voyage. Jamais une bête énumération de notre quotidien n'aura sa place dans cette œuvre.

Janine tape déjà la causette avec Gan 

Le lendemain, la perspective de se taper deux heures de bouchons pour récupérer nos extensions de visas nous file des frissons. On préfère enfourcher nos canassons à pédales pour faire les 30km aller retour jusqu'à l'agence d'immigration. Un défi dans la jungle urbaine, ponctué de poussées d'adrénaline. Notre seule satisfaction c'est de remonter des files de véhicules au pas sur des centaines de mètres, et slalomer entre les voitures arrêtées. Parfois, une sorte de piste cyclable nous apporte un semblant de sécurité, à condition d'éviter les arbustes qui poussent au milieu, les voitures garées en travers et de sauter les cassures brusques à chaque croisement de route. Le tout dans un environnement magique, où les centrales thermiques cèdent la place aux friches industrielles.

Nous sommes loin des steppes verdoyantes!

Une petite balade dans les bouchons 
Avec vue imprenable sur un environnement magique 

Sur le retour à l'hôtel, un arrêt à Dragon bus terminal nous permet d'acheter nos billets pour rejoindre enfin le point de notre départ à vélo demain.

Aujourd'hui, nous sommes un peu fiers d'être enfin dans le bus qui nous emmène à Bulgan. La bataille livrée avec le chauffeur pour qu'il accepte nos vélos était des plus féroces. Un personnage dans le style méchant grincheux, fruit des amours entre le Capitaine Crochet et la Fée Carabosse, si tu vois ce que je veux dire.

A peine descendu de son bus (son trône), sa main balaye l'air au dessus de nos vélos, signifiant qu'il méprisait ce genre de colis. On montre nos billets, on mime le démontage, on baragouine qu'on s'occupe du chargement. Janine le supplie même les mains jointes façon prière. Il nous tourne le dos et va boire un café. Nous sommes anéantis, dépités. Mais apres cet instant de stupeur je joue le forcing. Pendant que notre bourreau humecte ses papilles, je démonte nos roues, ouvre une trappe et charge les vélos ainsi que nos bagages. Au retour il ouvre la trappe et me fait signe qu'il faut virer tout ça. Je referme la trappe en lui glissant deux billets dans la main. Il l'ouvre de nouveau en me montrant quatre doigts. Je sors deux billets de plus de ma poche et on ferme définitivement cette pu.... de trappe.

Un mauvais gag de plus dans l'escarcelle 

Tout ça pour te dire que ça fait 5 jours que nous sommes partis de la maison et on n'a pas encore foutu un vrai coup de pédale.

Demain on cavalera à travers les steppes, il fera beau et la vie est belle.

PS: Comme les photos sont vraiment moches, je vous envoie juste un petit aperçu de ce que vous verrez dans le prochain article.

Bises Mongoles

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Aujourd'hui c'est notre cinquième étape, en même temps que mon anniversaire.

Oh, ne vous torturez pas pour les cadeaux, la nature me fait ici la plus belle offrande qui soit pour mon entrée dans la soixante dizaine.

Nous étions déjà sous le charme des paysages Mongols, dès les deux premières étapes sur la route goudronnée. Mais depuis que nous sommes sur la piste la philosophie a changé. La connexion avec la nature est nécessaire. Nous caressons l'ambition d'être ses invités. La présomption de s'y fondre et d'être adoptés. Elle fait semblant de nous le permettre avec la piste comme guide.

Immersion dans la nature 
Avec la piste comme guide 

Côté spectacle, rien ne fait obstacle à la contemplation. Il semble qu'ici l'horizon soit plus loin qu'ailleurs, et pourtant rien n'échappe à notre regard. La portée de notre vision à plus de profondeur. Les images qui s'impriment sur notre rétine sont plus nettes. L'air est plus pur. Tout est harmonie. Tout est placide. Tout est beau.

C'est sûrement ça les grands espaces 
 Camping dans le jardin
Pause repas panoramique

Cette steppe que nous traversons donne à réfléchir. Alors que je passe des heures à la maison pour tondre mes 5000m2, comment font ils dans ce gigantesque jardin? Parce qu'il s'agit bien de cela! Sur des centaines de kilomètres carrés tout est nickel propre. Pas une ronce, pas une limace, pas une motte de taupe, pas un buisson qui dépasse. Que de l'herbe soigneusement tondue et d'une régularité parfaite. Comme si une armée de jardiniers s'était attelée à la tâche. Et ne me dis pas que c'est le bétail, pourtant très nombreux, qui broute avec une telle précision. Je les ai vu moi les vaches, œuvrer dans le champ de mon voisin. C'est du boulot bâclé. Une touffe par- ci, une autre plus loin, pas du tout soigné comme tonte. Alors quel est ce phénomène extraordinaire qui te permet de rouler a ta guise sur cette moquette sans t'enfoncer ou te griffer, ou même éviter quelque obstacle ?

Pelouse nickel jusque sur les pentes 
Les jardiniers à l'œuvre? 

Avec deux habitants au kilomètre carré dans un territoire grand comme trois fois la France, il va sans dire que l'on rencontre peu de monde. Mais c'est loin d'être inhabité. Après le rude hiver, les nomades avec leurs immenses troupeaux, sont de retour dans la steppe. L'habitat est dispersé, fait de yourtes ou cabanes en rondins près des forêts. Les rencontres sont peu fréquentes mais intenses. Nous sommes à peine posés pour le bivouac que deux cavaliers au galop viennent vers nous. A grand renforts de mimes nous avons l'impression de comprendre qu'ils habitent les yourtes sur le pentes au dessus de nous, et qu'ils sont curieux de nos vélos. Je propose à l'un d'eux de l'essayer et l'on assiste aussitôt à un joli ballet au tour de la tente avec test des suspensions et des vitesses. D'autres fois c'est un berger à moto qui se plante devant notre bivouac. Il observe sans dire un mot, alors on engage les mimes pour communiquer. Ça le laisse indifférent.

Cabane plus Yourte l'habitat des steppes le plus fréquent 
Visite du matin 
Visite du soir 

Question forme on s'en sort pas trop mal pour des vestiges en péril. Les deux premières étapes on a joué les jeunes, boostés par l'excitation du début de voyage. À la 3eme, un sacré coup de mou a calmé nos ardeurs. Puis nous avons sagement coupé en deux, l'étape de 80km entre Tarialan et Erdenebulgan. Comme dirait notre amie; on va pas se mettre la rate au court bouillon. Surtout qu'il n'y avait que de la piste, avec un sac à eau de dix litres à me coltiner. Parce que la difficulté majeure de ce début de voyage c'est trouver de l'eau en dehors des villages. Nous croisons régulièrement de grosses ravines, voire des lits de rivières qui témoignent d'écoulements importants, mais elles sont toutes à sec. Et le peu d'eau où pataugent les troupeaux n'est pas consommable, même en la filtrant et la faisant bouillir.

Sur certains passages nous pateaugeons dans la boue ou des marécages, mais on ne trouve pas d'eau. Un comble!

Pour l'instant ce ne sont pas trop les pentes qui font faire la culbute à notre palpitant mais les chiens. Par deux fois, une paire de molosses à l'aboiement hargneux ont déboulé sur nous depuis la Yourte voisine. Le style de plan où tu détectes illico qu'il vient pas chercher la caresse le toutou. Nous roulions sur le bitume en faux plat descendant et il nous a fallu mettre plein gaz pour arriver à les semer. Je ne sais pas si c'était le coup de stress ou l'effort mais on a affolé la pendule comme si on avait grimpé l'Everest.

Là je fais le malin parce que le maître arrivait à moto. Excusez le cadrage mais Janine avait un peu la tremblote.
Avec ce type de bestiaux je suis plus à l'aise

On se fait secouer la couenne sévère sur les pistes. Nous espérons un endurcissement des carcasses.

On vous tient au courant.

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Si tu savais les efforts surhumains que je fais pour raconter mes salades, tu m'attribuerais le prix de la combativité c'est sûr.

Au bivouac, à peine arrivés, alors que je suis complètement vanné, me voilà obligé de récupérer mes enregistrements, les nommer, les rentrer sur la carte, faire le compte rendu de la journée et charger deux trois photos pendant que Janine monte le camp. Ensuite, en même temps qu'elle prépare le repas, je me torture la caboche pour distiller quelques âneries à poster. Du coup j'ai plus de temps à moi, et en plus je me fais engueuler parce que j'ai tout le temps le nez sur mon téléphone.

Tu crois que c'est une vie ça?

Bivouac du soir 
 Le meme au matin
Là on dirait pas mais je quitte pas le boulot

D'autant plus que sur la piste c'est pas folichon non plus.

Depuis six étapes, nos roues n'ont pas foulé un gramme de goudron. Voilà plus de trois cent kilomètres, que les pistes Mongoles font nos joies et nos larmes, nos doutes et nos espoirs.

La piste sous toute ses formes 

Nos joies c'est tous les matins, après une nuit réparatrice, lorsque nous sommes suffisamment frais pour apprécier les splendeurs qui défilent devant nos yeux. Dispos pour savourer le sentiment de liberté que ces grands espaces nous apportent. Fringants pour déguster le bonheur de vivre des moments de plénitude et mesurer la chance que nous avons d'être ici. Lorsque nos corps ne sont pas encore moulus par la piste, le plaisir est immense. Je ne sais pas au bilan final ce qui pèsera le plus dans la balance, mais il faudra beaucoup de turpitudes pour déséquilibrer autant d'enchantements.

Plein les yeux de beau 
 Et pas embêtés par les touristes
 Ni par les véhicules
Les pierres à cerfs que l'on trouve dans le nord de la Mongolie, sont des stèles mégalithiques avec des gravures de cervidés. 
J'ai pas épuisé mon stock de belles

Il y a aussi le charme des bonnes rencontres.

Entre Erdenebulgan et Chandmani Öndör, notre grand âge ne nous permet pas de faire les 100km de piste d'une traite. La moitié avec les dénivelés et nos bourricots chargés, c'est déjà beaucoup. Au 42ème kilomètre un bosquet de pins nous paraît parfait pour le bivouac. Nous sommes à l'abri du vent, bénéficions d'une mare pour rincer notre transpiration et disposons de bois en abondance pour le feu. Les quelques cabanes de nomades sont assez éloignés pour ne pas paraître intrusifs.

Bivouac en bonne compagnie chez les nomades  

À peine le camp monté, un couple arrive à moto. Ce n'est pas de la curiosité, plutôt la normalité. Dans ce coin de steppe où le premier hameau est à une cinquantaine de kilomètres, les passages de véhicules ne sont pas fréquents, et les voyageurs occidentaux à vélo rarissimes. L'homme, au guidon de sa moto mime qu'ils nous veulent chez eux pour faire descendre quelque chose dans nos gosiers. Sans comprendre s'il s'agît de solide ou de liquide, on lève le pouce.

Super et quand?

Merde, huit doigts!

C'est l'heure de notre coucher. Janine est même souvent dans son duvet avant cette heure là. Tant pis pour notre récup, ici une invitation ne se refuse pas.

Rombo et sa famille vivent à Oulan Bator l'hiver et sinstallent ici pour l'été. Il nous reçoivent en grande pompe. À l'apéro; thé salé au lait de yak, boulettes de fromage séché en guise de chips, fromage de chèvre tartiné au beurre de yak. Lorsqu'on nous sert le bol de soupe l'ambiance s'est nettement détendue. C'est même franchement la rigolade dès que Rombo sort la vodka. Le verre passe de main en main, avec le rituel qui va avec. Cul sec! Trois rasades chacun, c'est la norme Mongole. Les femmes participent aussi mais elles trichent. L'étape va être terrible demain. Nous leurs offrons du pain et de la confiture, ils nous chargent d'un demi fromage.

Disproportionné!

 Ambiance chez Rombo

Après on sort fumer une clope et rassembler les chèvres pour donner la tétée aux plus jeunes agneaux.

 L'heure de s'occuper du bétail
 Ici la famille est comme en vacances

À 6h du matin la traite est terminée. On nous apporte une bouteille de lait et un pot de crème. T'attends pas à la fleurette de chez nous. C'est de la bonne grosse peau bien crémeuse qui reste en surface quand t'as fait bouillir le lait. Avec le peu de confiture qu'il nous reste, une tuerie.

Au depart de ce fameux bivouac, je suis déjà sur le vélo tandis que retentit un Richaaaard derrière moi. Du déjà vu sur le tour d'Espagne pour nos plus fidèles suiveurs. Comme je me doute que mes groupies ne m'ont pas suivies jusqu'ici, j'en déduis que ça ne peut être que Janine. Elle vient de retrouver sa chaussette qu'elle cherchait désespérément. Manque de bol elle est entortillée dans le dérailleur, dont la patte a fumé. À peine le vélo retourné, Rombo arrive à nos côtés avec le meilleur mécanicien de la vallée.

Si ça c'est pas des rencontres qui marquent, tu m'expliqueras!

J'avais commencé, mais j'ai vite laissé faire le spécialiste. 
Une dernière pour la postérité 

Au rayon des larmes, je te passe les douleurs subies quotidiennement par nos corps sur les fins d'étapes, pour te raconter deux trois boulettes.

Avant Chandmani Undur la piste quitte brusquement ma trace sur la droite, pour faire un grand détour de plusieurs kilomètres et propose d'entrée de très fortes pentes. Ma trace au contraire coupe tout droit en terrain plat. T'aurais fait quoi toi? Moi je doute. J'hésite entre suivre la trace la plus marquée par les voitures ou rabioter des kilomètres et de la fatigue. A ce moment, comme pour nous aider à décider un camion chargé de bois sort de la forêt pile sur ma trace. On fonce tout sourire. Cinq minutes plus tard nous contournons une zone détrempée sûrs que ça ne durera pas. Une heure après nous poussons toujours nos vélos enfoncés jusqu'aux mollets dans une fange noirâtre. Les essais sur le vélo se soldent par des plongeons dans la boue, et les contournements par la forêt par une multitude de piqûres et griffures.

Les erreurs se payent cash!

Ici tu peux essayer de pousser en bordure 
 Ou carrément dans la forêt
Mais jamais essayer de passer sur le vélo 
 Autres passages moins boueux mais tout aussi humides

Après Chandmani-Öndör j'avais prévu une étape de 40km avec bivouac en bord de rivière. Je glisse comme ca, que 15km plus loin il y a un Tour camp au bord du grand lac Khövsgöl. Les yeux de Janine font 🤩🤩🤩. Moi je crains que la perspective de passer deux nuits de confort, chouchoutée dans un établissement touristique, au cœur d'un paysage de rêve lui fasse perdre toute lucidité, mais je m'inscris. Au terme d'une étape dantesque de 60km avec des détours (on ne joue plus avec les raccourcis), plus 800m de dénivelé et des pentes où pousser les vélos à deux c'était à peine suffisant, nous arrivons, échinés, rompus, esquintés, ruinés à Ancient Resort Tour Camp. Et comme c'était fermé, nous avons campé devant les bâtiments 😭😭😭.

Ainsi châtient les incertitudes.

Ancient Resort Tour Camp en vue 
 Avec toute la place qu'on veut et personne pour nous embêter
Avec lever de soleil rien qu'à nous 

Au chapitre des doutes, celui de ne pas tenir physiquement, se dissipe au fur et à mesure que nos cuirasses s'endurcissent. Reste les petits doutes quotidiens lorsque les bivouacs s'enchaînent. L'eau, et à moindre niveau la nourriture en font partie.

Est ce qu'au point de bivouac la rivière visible sur l'image satellite nest pas a sec?

Est ce qu'on mise sur cette autre rivière à mi étape?

Ou est ce qu'on assure en trimballant le sac à eau sur toute l'étape?

Enfin, notre principal espoir c'est de trouver une bonne bibine à s'envoyer dans le gosier lorsque l'étape se termine dans un village. Mais je t'informe que Janine nous a déjà gratifiés d'une petite mousse-cacahuètes en pleine pampa tout fraîchement sortie de sa sacoche.

Bonnes élections et vous trompez pas de bulletin.

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J'étais en panne.

En panne d'idées je veux dire, et ça me chagrinait.

Je ne comprenais pas pourquoi, alors que le voyage au long cours est habituellement un catalyseur d'inspiration, la piste Mongole me privait de mes chères rêveries. C'est facheux parce qu'en voyage, ces fantaisies divagatoires sont non seulement la source de mes récits, mais rendent aussi la pédale plus douce. J'en étais là de mes tourments inélucidés, lorsqu'elle mit malicieusement sous mes roues, un amas de sable qui faillit me faire mordre la poussiere. Ce fut la révélation.

Aux prises avec l'inspiratrice 

La piste Mongole ne supporte pas le partage. Elle nous condamne à être tout à elle. L'usine à phosphore doit turbiner plein gaz, rien qu'à son attention. C'est une dévoreuse d'énergie, autant que de vigilance.

Au pays des nomades, il n'y a pas de place pour le vagabondage cérébral.

 Sans jamais relâcher l'attention

Genèse d'une voie

Tu dois savoir qu'un Mongol au volant, est un éternel agent de voirie. Un expert du génie civil en mission. Il construit à sa guise de nouvelles routes, souvent par nécessité mais parfois aussi, je pense, pour le plaisir. Cette charge publique que l'administration Mongole a délaissée, est parfaitement assumée par les usagers. Aussitôt qu'une piste est trop détériorée par les intempéries ou le passage répété des véhicules, une autre est tracée à côté. Parfois juste pour couper un virage, contourner un dénivelé, éviter une zone inondée par temps de pluie ou une partie caillouteuse.

Le choix des pistes ne manque pas 

Au guidon de ton percheron, tu te retrouves ainsi devant une flopée de traces. Bien sûr, elles vont toutes au même endroit mais gaffe, chacune te réserve un destin différent pour toi et ta monture. Comme tu fais partie de mes chouchous, t'as droit à quelques indices pour éviter que ta vie sur le vélo devienne un supplice.

 Mais il vaut mieux choisir la bonne

Flairer l'embrouille

Les trop vieilles vaut mieux laisser tomber. Tu les reconnais parce qu'elles sont plus larges et complètement décapées. De la couche de terre en surface s'entend, évidemment. Le passage répété des véhicules à toute berzingue en ont fait un enfer pour vélos, avec des formes de torture très sophistiquées.

De la vieille piste bien large et décapée 

La pire de toutes étant la tôle ondulée. Pour les navigateurs initiés, un peu comme un méchant clapot, mais terrestre. Si tu vois toujours pas ce que je veux dire, imagine toi à cheval sur un marteau piqueur et serre bien les mâchoires si tu veux pas te déchausser une dent. Elle te parkinsonne dans un premier temps, avant de te broyer a terme. Une étape avec trop de tôle ondulée c'est la désintégration de nos corps, le morcellement de nos membres, la dislocation de notre squelette, la désarticulation définitive. Ça me rappelle un prof, qui aurait mérité une petite séance de tôle ondulée pour se faire désagréger.

La tôle ondulée ou le concasseur à cyclos

Un niveau en dessous on trouve ce que nous avons nommé la gravasse. Oui, on aime bien les terminaisons en "asse" qui donnent du relief au mots. En général on les trouve rigolotes, sauf celles si nombreuses pour qualifier, ou plutot disqualifier, la gente féminine. Je te fais pas de dessin c'est pas beau.

Donc, c'est un peu comme la gravette, mais avec des cailloux plus gros qui n'adhèrent pas à la piste, exprès pour rouler sous ton vélo et te faire tomber. Ce type de piste a eu raison d'un filetage d'insert de support de porte bagages. Dépannage express avec maintient de la nouvelle vis au "gorilla tape", plus collier de serrage pour assurer et ça devrait tenir jusqu'au bout.

 Réparation de porte bagages victime de la gravasse

Les pistes les plus récentes, vaut mieux éviter aussi. Pas encore assez rodées pour permettre de pédaler correctement, avec des résidus d'herbes encore présents sur la trace. Ici pas de danger potentiel, mais l'ensemble n'est pas assez lisse pour pédaler avec fluidité.

 Oublie aussi les jeunes pistes pas assez carrossées

La plus belle de toutes, celle que l'on désire éperdument, c'est la piste d'âge intermédiaire. Ni trop jeune pas encore lustrée, ni trop vieille trop rabotée. L'intermédiaire présente deux jolies traces de terre marron bien ferme et parfaitement lisse. Pour parfaire sa beauté, elle s'habille parfois d'une jolie bande d'herbe verte au milieu. Sa plastique parfaite et sa conception efficace invitent à une chevauchée affriolante. Ça glisse comme sur du billard en nous laissant profiter du spectacle environnant.

De la jolie piste bien lisse avec sa bande verte au milieu 
 Pour pouvoir lever la tête et profiter des paysages

Viser juste

Ne t'imagine pas qu'une fois choisie la voie royale, la partie est gagnée. Même la plus accueillante d'entre elles te servira des surprises. Attends toi à une zone de sable par ici, une ornière par là, et quelques cailloux de temps en temps. Soit habile du guidon et affûte la trajectoire dans les descentes, parce qu'avec un 35 tonnes l'erreur ne pardonne pas.

Quelques cailloux de temps en temps ça réveille 

Ah la trajectoire!

C'est l'âme de nos joutes ludiques. Mes compagnons de jeu, anciens et présents ne me contrediront pas. Que ce soit sur l'eau, la neige, la piste ou le sentier, la trajectoire n'est pas que la ligne éphémère d'un déplacement. Elle révèle notre caractère, exprime notre personnalité, annonce notre nature. Il y a les fonceurs sauteurs de cailloux et briseurs de vagues, les prudents qui se font attendre, et les finauds contourneurs d'obstacles et feinteurs invétérés. Elle pourrait même avoir une influence conséquente sur nos trajectoires de vie.

Attention poids lourd lancé 

Alors je te disais, que sur les pistes Mongoles où l'on se traîne sur le plat et encore plus dans les montées, la moindre descente est une occasion pour lâcher la bride et gagner quelques kilomètres heure. A pleine vitesse envoie le regard en éclaireur, anticipe la trajectoire, soigne l'équilibre, et vise juste si tu ne veux pas mordre la poussière.

La voie royale 

Jouer de la poussette

Dans leur frénésie créatrice les chauffeurs Mongols n'aiment pas jouer les artistes dans les montées. Épouser le relief, tracer des virages en douceur c'est pas leur truc. Eux c'est plutôt le style découpeurs de courbes de niveau. Des tireurs de ligne droite vers le sommet. À vélo ça signifie des pistes pleine pente, ravinées par les intempéries et défoncées par les roues des tout terrain.

Jusqu'à 6% on arrive à faire grimper nos chars d'assaut à la pédale. De 7% à 8% on poursuit en faisant des pauses quand le palpitant demande grâce. Au delà on pousse, et parfois à deux quand ça s'incline trop.

En voilà une gagnée à la pédale 
Et d'autres à la poussette 

Enfin, je ne peux pas terminer sans rendre un hommage à Mygma.

Nous l'avons rencontrée à Bürenhaan à l'issue d'une étape brutale, avec deux cols au programme sous 29 degrés. Il est 14h et nous sommes liquéfiés et affamés lorsque dans le hameau on nous indique une yourte où l'on peut trouver à manger. Dans la Yourte il fait une chaleur à crever malgré l'ombre protectrice, parce qu'une femme prépare sur son poêle le plat le plus répandu de Mongolie. De grosses crêpes fourrées à la viande. La chaleur, l'atmosphère un peu glauque qui se dégage sous cette yourte, rien ne nous importe à part se poser, manger les crêpes et boire le thé au lait salé. Une fois nos besoins primaires contentés, on s'inquiète de notre futur. Trouver un peu d'eau pour rincer notre transpiration (ici oublie les douches), et un coin pour poser la tente et se reposer.

 Le village de Bürenhaan

Le problème c'est qu'il n'y a pas un seul arbre à perte de vue. Et, nous explique Mygma, la seule eau courante du village est la rivière mais elle est asséchée, alors il reste le puits. Mygma est directrice de l'école et fait la pause de mi journée avec ses collègues. Avec ses deux mots d'anglais (comme nous), et l'aide de notre allié Google traduction nous arrivons à nous comprendre. Elle veut nous amener chez elle. La famille vit dans la yourte au milieu du jardin, mais ils ont construit une belle maison en bois qui devrait être un futur restaurant où un lieu d'accueil. Tout n'était pas facile à comprendre.

Et la maison de Mygma 

En attendant elle nous installe dans une grande pièce vide et nous apporte de l'eau. Le rêve! Le soir après les cours elle nous prépare un plat et le lendemain matin idem. Le tout sans rien attendre en retour, juste de la générosité.

Où nous avons bien dormi et mangé 
 Merci infiniment

Dans le contexte nous avons savouré cette pause, mille fois plus que dans le meilleur des hôtels. Nous n'avons plus que toute notre gratitude et des énormes mercis à t'offrir. Mygma, tu resteras pour toujours dans nos souvenirs.

Ce que nous lisons de la perspective politique qui se profile en France, nous inquiète plus que les pistes Mongoles.

On compte sur vous pour pas déconner.

6

Si au début du voyage nous avions du mal à trouver de l'eau, on ne peut pas dire que nous en manquons sur notre retour de boucle. Le ciel Mongol nous en sert un peu sur la tête, et les rivières nous offrent tout ce dont nous avons besoin pour nos bivouacs. De l'eau pour se laver boire et cuisiner, du bois charrié par les crues pour le feu, et même la matière première pour nos repas.

On vous raconte:

Au départ de Tonsontsengel  l'ambiance est humide
Et en cours d'étape ça s'arrange pas 

Suite au super accueil chez Mygma nous arrivons à Tsagaan Uul après 700m de dénivelé positif (qui comptent au double sur la piste), bien déconfits, avec acune envie de bivouaquer. Autant nous avons plaisir à poser notre tente en pleine nature quand les conditions s'y prêtent, autant à proximité d'un village nous n'y trouvons aucun intérêt. Et pourtant, il est nécessaire d'y passer pour se ravitailler. Ici pas d'hôtel annoncé, mais on tente notre chance dans le restaurant où nous mangeons. La petite diablesse d'une dizaine d'années qui nous sert à table, est à coup sûr la plus débrouillarde de la contrée et s'occupe illico de notre cas. Sa mine espiègle et son air sûr nous font espérer du positif. Nous n'avions pas terminé l'assiette qu'elle nous annonce dans un anglais bien meilleur que le notre qu'un habitant veut bien nous loger.

Comme notre logeuse tient également une épicerie et que la petite polissonne adore les glaces, elle choisit deux magnums qu'elle partage avec son petit frère collé à ses basques. C'est bien mérité!

Mieux que Booking.com, la jeune serveuse de Tsagaan Uul 

En sortant de Tsagaan Uul nous avions prévu de faire les 165km qui nous séparent de Tosontsengel en 3 étapes. Le première que nous pensions facile est vite devenu un chemin de croix. Un vent contraire s'obstine à compromettre notre félicité durant les 62km de l'étape. Nous arrivons à notre point de bivouac en bord de riviere complètement ratatinés, ne rêvant que de réconfort. Nous sommes prêts à démarrer notre rituel popote quand débarque un groupe d'une camionnette. Le coin semble à leur convenance et ils sont bien équipés. Réchaud xxl, gamelles, couvertures, boissons, nourriture, on se demande s'ils s'installent pour la nuit. Ça braille, ça rigole, ça se baigne, ça cuisine et nous commençons à nous dire que ce n'était peut être pas le meilleur coin pour notre tranquillité, quand un bras nous fais signe d'approcher. Nous les rejoignons la mine interrogative et ils nous disent le plus naturellement du monde; "Bah quoi, amenez vos chaises et couverts le repas est prêt". Invitation à la Mongole sans fioritures.

Préparation du Tsuivan plat typique Mongol et la joyeuse équipe en plein travail 

Nous comprenons qu'il s'agit d'une équipe travaillant dans l'environnement qui rentre de mission et qui s'accorde une petite pause avant de rejoindre la maison.

Le même site au petit matin beaucoup plus tranquille 

Le lendemain lorsque nous arrivons au col à 2270m, un comité d'accueil au ciel chargé et aux échos tonitruants nous attend de l'autre côté. Au loin les nuages noirs se répandent déjà et nous savons ne pas pouvoir y échapper. C'est lorsque la grêle a commencé à tambouriner sur nos casques que nous avons pris la chose au sérieux. Ici ne cherche pas un abri, c'est la steppe nue à perte de vue. La seule échappatoire c'est de se couvrir de la tête au pieds en passant par les mains, parce que la température a chuté cruellement, puis pédaler comme des dératés. La séance a durée 1h30 et le goût de camper au bord de la route nous a passé en arrivant sur le goudron. Une camionnette nous sauve des 35km insipides sur le goudron jusqu'à Tosontsengel, et le lendemain nous endossons de nouveau nos scaphandres pour arriver jusqu'à Ikh Uul à la pédale. Ça y est l'épisode pluvieux est passé.

 Deux jour de pluie, on s'en sort à bon compte pour l'instant

J'ai du faire appel à tout mon charme pour convaincre Janine que la piste c'était mieux que la route pour aller à Jargalant. Les quelques kilomètres de goudron sur la dernière étape, nous ont laissé un petit goût de confort qui pourrait nous faire verser dans la facilité au détriment du beau, si lon ne prend pas garde. Nous avons bien fait! Dès que nous sommes sur la piste tout est magnifié malgré la difficulté, et la vallée de l'Ider que l'on descend avec un petit vent arrière nous offre des tonnes de plaisir et de tranquillité.

Une petite merveille de vallée avec beaucoup de plaisir et une grosse désillusion 

La grosse désillusion, la boulette géante, l'énorme cagade, c'est au moment de faire essayer mon vélo à un Mongol que je la percute. La bouteille d'essence avec sa pompe à disparue de mon porte gourde. Elle n'a pas résisté aux secousses de la piste. En substance on n'a plus de quoi cuisiner. Notre réchaud multicombustible nous servira de déco dorénavant.

 Vous le voyez le 3eme porte gourde vide? Ben avant y avait une bouteille de combustible
Comme ça! Elle était belle hein? 😭

Si vous avez vent d'un concours du roi des crétins quelque part, faites moi signe, je suis sur de remporter le gros lot. Aucune complaisance avec un papypedale insoucieux. Parce qu'avant de partir je m'étais déjà dit que ce porte gourde n'était pas très sûr. Puis au fil des étapes j'ai maintenu la bouteille au tube de cadre avec un velcro. Et maintenant ce velcro est là, pendouillant au tube de cadre et témoignant de ma stupide négligence. Remonter les 30km de piste face au vent dans l'hypothétique espoir de la retrouver me donne la nausée. Donc nous aviserons, entre le petit réchaud alcool que nous avons en secours, les feux de camp et un improbable réchaud à gaz trouvé dans un village. Il faut croire que la chance sourit aux imprudents. Dans le premier commerce en arrivant à Jargalant, nous trouvons un remplaçant à notre super réchaud de baroudeur; le bon fourneau familial.

Il est pas beau celui là? Un peu encombrant mais il fait parfaitement le job. 

La vallée que nous remontons depuis Jargalant jusqu'au col sans nom à 2345m est d'une beauté époustouflante. Oui je sais, je me répète. Mais je ne vois pas comment décrire autrement ce sentiment de plénitude en parcourant ces kilomètres de grâce. Tout est à l'équilibre. La pente est douce sous nos pédales, la température en ce début de matinée est favorable à l'effort, l'air est d'une limpidité absolue, le paysage est grandiose, et l'animation règne dans ce coin, avec les nombreux camps de nomades qui jalonnent la vallée.

On adore ces paysages 
Piste facile, rivière a côté, beau temps et environnement grandiose. Que demander de plus? 
Deux cavaliers dans la vallée 

Bien que le dernier kilomètre avant le col, tout à la poussette, sur une gravasse détestable nous ait complètement achevés, nous trouvons les ressources pour pousser plus loin.

 Dur les arrivées au sommet

Parce que plus loin nous attend le parc national Khorgo Terkhyin Tsagaan, avec son volcan et son lac blanc, où Janine est impatiente d'essayer sa canne à pêche qu'elle trimballe depuis le début du voyage sans succès.

 Superbe bivouac à Khadat Lake si ce n'était....

Au bord du lac, à la place des truites espérées, nous avons trouvé des centaines de moustiques qui ont goûté mes jambes avec délice. Le début d'un véritable agacement du voyage.

 Pour compenser ces horribles bestioles,  des champs entiers d'edelweiss commencent à s'ouvrir

Le cheminement le long du lac Terkhiin Tsagaan jusqu'à Tariat, est une nouvelle fête. Nous sommes bien fatigués de l'étape de la veille avec ces 65km et presque 1000m de dénivelé, mais ces bords de lac nous font tout oublier. Peu avant Tariat nous côtoyons le fameux Khorgo qui a déversé dans son temps des milliers de tonnes de lave et laissé au bord du lac des formations rocheuses étonnantes.

 Cheminement de rêve
 Le temps d'une étape
Sur les bords du Terkhiin Tsagaan 
 Les bulles de lave solidifiée du Khorgo que l'on appelle ici les yourtes de basalte

Après Tariat il n'y a pas d'autre solution que de suivre la route goudronnée durant une partie de l'étape. Ensuite, dès que nous retrouvons la piste, c'est toujours le même soulagement qui nous anime. On s'étonne de ce que tout paraisse plus authentique simplement par la suppression d'un ruban de goudron.

Tu enlevés le goudron et ça donne ça 

Nous longeons une rivière, et au bas d'une descente le petit pont qui la traverse nous paraît parfait pour un casse croûte mérité. Janine que je sens à cran, sort la canne à pêche de sa sacoche et aussitôt sa première truite de la rivière.

 Le pont
 La truite
 Et le gourmand

Je te l'avoue solennellement, cette truite a fait basculer notre vie. Nous sommes passés de l'état de guerriers des steppes bouffeurs de piste, au statut de joyeux lurons preneurs de bon temps. Et pour officialiser cette nouvelle orientation, nous éditons aussitôt des règles de vie.

1) Suppression des jours de repos pour faire plus d'étapes mais plus courtes pour avoir le temps de pêcher.

2) Obligation de faire coïncider les fin d'étape avec un bord de rivière, de préférence ombragé, et obligatoirement poissonneux.

3) Perfectionnement de notre cuisine pour l'élaboration de recettes de truites.

Crois moi ou pas, nous avons suivi ce protocole à la lettre, et ça a parfaitement fonctionné.

 Bivouac bord de rivière sans ombre mais avec truites
 La preuve!
 Bivouac bord de rivière avec ombre et truites
Autre preuve 

Il nous arrive parfois de buter sur une berge dépourvue d'arbres alors que la berge d'en face nous nargue avec ces zones d'ombre et ses bois morts. Mais un cours d'eau ne peut faire obstacle à nos engagements.

 A la recherche d'ombre et de bois mort

Côté cuisine nous avons essayé toutes les formes de recettes à notre disposition. Au court bouillon avec un peu de crème fraîche. Froides avec de la mayonnaise. Marinées au sel en carpaccio. Revenues dans le beurre, et le must du must, en pierrade au feu de bois. Oubliés les noodles et la crainte de ne pas trouver de ravitaillement. Dans nos sacoches juste des condiments et un accompagnement. Le plat principal est disponible sur place. Pour tous vous avouer, au bout de quelques jours on en avait un peu marre de toutes ces truites. On aurait bien pêché un petit agneau ou un chevreau, mais rien à faire ça mordait pas.

 La pierrade une valeur sûre
 Pour déguster ce genre de spécimens

Du coup avec notre tente visible nos feux de bois et notre canne à pêche, les voisins n'hésitaient pas à traverser aussi pour nous faire une petite visite. Nous offrons du poisson, du café et des gâteaux, ils apportent une motte d'un mix entre crème et beurre (une tuerie de gourmandise) ou du fromage de chèvre (bien trop fort pour nos goûts). Il n'y a jamais de conversations animées mais des moments échangés toujours passionnants.

 Un jeune nomade vient à notre rencontre, nous offre de la crème et reste un moment avec nous.
 Puis le soir arrivant traverse la rivière pour retourner dans son camp
Ici toute la famille vient passer la soirée avec nous 
 Une autre rencontre un peu plus étonnante, avec un loustic bien imbibé, qui nous invite à la vodka à 9h du matin.

Nous avons aussi essayé les hébergements de luxe dans des établissement thermaux en pleine steppe. C'était bien insipide en comparaison de nos bivouacs.

 Trop surfait

Nous rentrons dans la célèbre vallée de l'Orkhom, que nous vous révélerons dans notre prochain et dernier article de ce carnet de voyage.

 En route vers la vallée de l'Orkhom
 Soir de pêche à l'entrée de la vallée de l'Orkhom

Félicitations pour vos votes. Ici, pour célébrer l'évènement, nous nous sommes offert une double ration de truite, accompagnée d'une bière ordinaire que nous avons trouvé excellente.

Faites venir l'été on rentre bientôt à la maison.

7

Pour les constipés de la coiffe ou les sodomiseurs de mouches (normalement il n'y en a pas parmi mes lecteurs chéris, mais on n'est jamais à l'abri d'une intrusion malintentionnée) je précise que le "Conquis" du titre, ne s'entend pas comme l'avait exprimé Jules. Imagine un peu, que deux antiquités à bicyclette n'ont aucune présomption de conquête, et surtout pas celle des terres du plus grand conquérant de l'histoire. Non, il faut bien lire que nous avons été envoûtés par ce pays.

A part ça hier soir, nous avons du nous réfugier contrains par une pluie battante, dans un camp pour touristes. Ces Resorts Tourist Camp sous des airs d'accueil dans des yourtes authentiques, offrent toute la panoplie du service impersonnel à un prix prohibitif pour le pays. Mais j'arrête de râler parce que le poêle ronfle dans la yourte, nous sommes au sec et au chaud, et nos affaires sèchent. Demain sera un autre jour.

 Contraints mais contents, c'est mieux que la tente pour faire sécher les affaires

Au matin nous n'avons plus le choix, il nous faut affronter un nouvel épisode pluvieux. Nos jours de repos sont épuisés (nous aussi) et de toute manière on ne se voyait pas passer une journée d'attente dans ce type d'hébergement. Nous savons que la matinée sera une montée régulière sous la pluie, jusqu'à un col à 2050m. De l'autre côté nous rejoindrons la vallée de l'Orkhom et ça devrait aller mieux.

Une montée dans la grisaille mais bien fleurie 
 Monter à 2000m avec des mulets chargés et pédaler sur une patinoire ça fait beaucoup pour les anciens

Toute la pluie tombée depuis hier a complètement savonnée la piste. Il faut chercher la bande herbeuse du milieu ou les bords de piste, pour ne pas pédaler dans la choucroute. Le genre de montée où il vaut mieux prendre sur soi sans perdre patience, parce qu'à ce rythme la montée se fait longue, trèeees longue. Près du sommet, un vent à défriser tous les yaks de la contrée s'associe aux pentes scandaleuses du traditionnel dernier kilomètre, pour finir de nous trucider.


 Une bonne séance de bourrins en arrivant au sommet
 Puis, à nous la grande descente vers la vallée de l'Orkhom
 Avec un arrêt pêche express en cours d'étape et une truite pour le soir

Khashkhan c'est un camp de Gers comme on les aime. Ici pas de services bidon, juste un hébergement décent, de la bonne nourriture, un accueil chaleureux, et en prime une rivière à truites à coté. Une très bonne fin de journée chouchoutés par nos hébergeuses.

Superbes couleurs du soir à Khashkhan camp 


A l'approche de Karakorum nous raccourcissons volontairement les deux dernières étapes, pour faire un dernier bivouac au bord de l'Orkhom. Une grande voie de circulation vient d'être ouverte le long de ce parc national. Pour nous qui empruntons l'ancienne piste, c'est un gage de tranquillité redoublé. Durant deux jours notre descente de l'Orkhom prend l'aspect d'un final de rêve. La piste de moins en moins empruntée est réduite par tronçons à des traces infimes, voire pas de traces du tout. Il est nécessaire alors de jouer finement du GPS, jusqu'à trouver une trace réactivée par les nomades alentours.

Quand la trace se fait rare... 
Jusqu'à disparaitre 

Le long de l'Orkhom nous apprécions chaque mètre de ce pays envoûtant. Malgré la fatigue plus quelques broutilles de santé, une sensation d'accomplissement énergise nos corps. L'étincelle du cyclo-voyageur comblé brille déjà dans nos yeux. Heureux pour une fois de retrouver bientôt la maison pour reposer nos organismes, mais déjà nostalgiques de tant de moments de bonheur.

 La puissance des grands espaces
Une dernière traversée de rivière bivouac oblige 
 Et en route pour Karakorum
Karakorum terminus, tout le monde descend du vélo 

Le retour en bus vers Oulan Bator est passé comme une fleur. En voyant nos vélos, le chauffeur à simplement frotté son index et son pouce dans un geste internationalement connu, invitant à mettre la main à la poche. Chauffeur je vous ai compris!

A Oulan Bator, le temps de réencartonner nos machines, nous avons fait la connaissance de Delphine et Gatien. Ces deux là font partie de la famille des baroudeurs comme on aime. Il viennent de passer 4 ans en Australie dans une ferme, où Delphine pilotait des moissonneuses batteuses que même pas tu penserais que ça existe. Le truc où t'as pas assez d'essence dans la mobylette pour faire le tour. Le machin avec lequel tu pourrais tondre tous les jardins de Versailles d'un coup. Gatien lui, s'occupait de la maintenance. Ils ont décidé de rentrer au pays mais ils prennent le temps. Partis depuis 6 mois, ça devrait leur prendre encore environ un an pour rentrer at home. Ils s'intéressent dans le détail à notre virée, posent des dizaines de questions et semblent excités par nos récits. C'est que depuis quelque temps, un petit vélo trotte dans leur tête les titillant à changer de mode de voyage. Le lendemain matin, "Pèlerins des steppes" les a tellement emballés qu'ils partent acheter des vélos. Nous leur avons mis le "pied à la pédale" de notre mieux, et il doivent actuellement rouler sur nos traces. On adore!


 Une belle rencontre

Vous avez compris, nous sommes sous le charme de ce voyage.

Cette destination sort du lot de tout ce que nous avons vécu à deux roues jusqu'à présent. Elle ne se distingue pas par la grandeur de paysages spectaculaires comme ceux des parcs américains, des montagnes andines, des salars boliviens ou des glaciers de Patagonie. Mais combien de kilomètres quelconques voire insipides, il est nécessaire de parcourir pour aller d'un site remarquable à l'autre dans le continent américain. Le charme de la Mongolie tient à sa densité de délicieux. Ici, rien à jeter. Pas un kilomètre qui nous laisse indifférents. Pas un matin où l'on n'enfourche le vélo avec la banane. Et pourtant, pour des yeux non avisés, la steppe Mongole pourrait presque devenir monotone tant les paysages sont en général semblables. Mais à vélo la magie des grands espaces opère immédiatement. Est ce que cette félicité tient au sentiment de liberté que procurent ces paysages? A l'absolue tranquillité qui domine dans ces étendues? A la sensation d'isolement qui règne sur les pistes ? Ou à l'émotion de vivre quelque chose d'unique ?

Sûrement un peu de tout ça qui nous amène à prétendre que la Mongolie est la destination parfaite pour les voyageurs à vélo, amateurs de liberté, de nature et de grands espaces.

Ce voyage nous a tellement marqué que nous avons décidé, en toute modestie, de faire un petit bilan et donner quelques repères sur cette destination, d'après notre propre expérience.

Matériel

Nous avons opté pour des vélos type VTT avec fourche hydraulique à l'avant et pneus de 29X2,25 avec bande de roulement au centre et crampons à l'extérieur. Après 1500km au total, dont 1400km de pistes, nous pouvons confirmer que ce type de matériel apporte du confort et de la sécurité. Les poignées ergonomiques sont loin d'être un gadget aussi à notre avis. Bien sur le choix de ce type d'équipement se fait au détriment de la légèreté, mais nous validons tout de même à 100%. Pour la maintenance nous avions emporté quelques vis de rechange, des colliers, une patte de dérailleur et un bon ruban adhésif. Tout nous a servi sur ces pistes où le matériel souffre beaucoup. Malgré une inspection régulière nous avons eu un insert de support de porte bagages foiré, que nous avons fait tenir au scotch et collier de serrage jusqu'à la fin du voyage.

Côté popote nous sommes partis avec un réchaud multi-combustible et l'avons regretté. Les bouteilles de gaz allongées sont présentes dans tous les commerces. Il faut simplement s'équiper de l'adaptateur adéquat pour ce type de bouteilles.

Eau nourriture

On trouve des commerces dans tous les villages mêmes les plus petits. Evidemment il ne faut pas s'attendre à un choix à l'Européenne, mais toujours des noodles et des conserves d'un assortiment de légumes que l'on recommande. Lorsqu'il y avait un restaurant dans le village, et c'est souvent le cas, il nous est arrivé de commander un deuxième repas à emporter pour le lendemain.

L'eau en bouteilles est également présente dans tous les commerces. Nous avons amené un sac à eau de 10L résistant, et un filtre à eau. Lorsqu'il n'était pas possible de bivouaquer à coté d'un point d'eau, nous repérions sur les cartes le point d'eau le plus proche du bivouac pour se charger le moins longtemps possible.

Il est bon de préciser que l'eau courante n'existe pas dans les petits villages. C'est un bien précieux que les habitants vont chercher au puits ou dans la rivière. Par conséquent on ne vous proposera jamais d'eau dans les hébergements, sous quelque contenant que ce soit. Vous devrez demander un bidon et vous dégoter une bassine pour faire une toilette de luxe.

Energie

Nous sommes partis avec un chargeur solaire plus des batteries externes. Ca peut paraitre un peu surdimensionné mais il faut savoir que nous utilisons le GPS de nos téléphones toute la journée avec des applications de guidage. Dans les faits, il est tout à fait possible de se passer d'un chargeur solaire avec une batterie assez puissante, parce que nous n'avons jamais passé plus de 3 jours sans pouvoir recharger notre matériel.

Communication

Le réseau mobile est présent dans quasiment tous les villages et les cartes de données sont très économiques. Nous avons acheté des cartes à Oulan Bator que nous avons rechargé en ligne en cours de voyage. C'était très frustrant de ne pas pouvoir communiquer mieux avec les locaux, qu'il s'agisse des nomades lors des bivouac ou des villageois. Ils comprennent à peu près ce que nous leur disons grace à google translate (qu'il faut télécharger pour en disposer hors ligne), mais ils sont incapables de communiquer avec notre alphabet. Nous avons compris trop tard, qu'il était indispensable de télécharger sur nos téléphones un clavier cyrillique mongol, afin qu'ils puissent s'exprimer.

Paiement

Attention vous allez devenir riches. Dès 150€ vous passez à un montant à 7 chiffres dans la monnaie locale. C'est un peu déroutant. Nous nous sommes longtemps interrogés sur les possibilités de retrait dans les villages et, en prolongement, sur la quantité de cash à amener. En réalité on trouve toujours des distributeurs dans les villages, mais il n'est possible de retirer que des toutes petites sommes. Par contre, a notre grande surprise, il est possible de payer par carte dans la grande majorité des commerces mais pas dans les hotels, sauf si les propriétaires possèdent également un commerce.

Orientation

Comme toujours nous avons roulé avec Oruxmaps notre application de guidage préférée. Il faut un temps de pratique avant de maitriser les principales fonctions. Mais ensuite elle est à mon avis, la plus complète, la plus lisible, et la moins gourmande en batterie. Il est nécessaire néanmoins de charger de bonnes cartes. Comme nous l'avons déjà évoqué, les pistes sont souvent modifiées ou abandonnées d'une saison à l'autre. Il nous est arrivé à plusieurs reprises de sortir de l'itinéraire sans nous en apercevoir.

Un énorme merci de nous avoir accompagnés, soutenus, encouragés, flattés, et tout simplement d'avoir tissé un lien avec nous durant ce voyage. Grace à vous nous étions moins seuls dans ces grandes étendues et poussions plus fort dans les pentes cauchemardesques.

On se donne rencard du côté du Mexique, dès que les vieilles peaux ont récupéré.